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Vents-contraires

L'épopée de Gilgamesh: l'humilité antique

5 Décembre 2012 , Rédigé par Damien Corban Publié dans #les pages philo et culture

L’épopée de Gilgamesh : L’humilité antique

 

Mon épouse ayant pris sa soirée pour un « repas entre copines », cela me laisse le temps de vous faire part de mes derniers errements littéraires. En ce moment porté par une soif nouvelle de connaitre et comprendre l’histoire de la pensée, j’ai pris un peu de mon temps à la lecture d’un texte qu’on appelle l’épopée de Gilgamesh.

 

Je remercie d’ailleurs à ce sujet Luc Ferry qui, en grand connaisseur de l’histoire de la philosophie, a participé à l’élaboration d’une collection type « chez votre marchand de journaux » qui fait découvrir semaines après semaines de nouveaux philosophes, des antiques aux plus modernes. Sa collection livre + CD qui est d’une grande qualité, pique l’attention, est très vivante, et incite ainsi à aller plus loin dans les textes des grands auteurs évoqués. Il sait faire passer sa passion pour la philosophie sans user d’un jargon inutile et sa vulgarisation se veut précise et synthétique.

 

C’est ainsi donc que l’épopée de Gilgamesh vint attirer mon attention. L’épopée de Gilgamesh, et les différents épisodes de celle-ci, sont des tous premiers écrit de l’histoire. Avant même l’Iliade et l’odyssée des grecs. Avant même la bible.

 

Ce texte nous vient en effet de Mésopotamie, des civilisations sumériennes et akkadiennes qui, les premières, inventèrent l’écriture. Ce livre, composé de plusieurs tablettes retrouvées un peu partout en Mésopotamie (actuel Irak pour faire court) est la mise en forme des premiers mythes que l’humanité jamais inventa. Premiers mythes déjà hautement philosophiques et riches de questionnements. Questionnements toujours d’actualité, car existentielles, et questionnant la mort.

 

Venant de terminer la superbe traduction de ce texte par jean Bottéro, je suis encore tout retourné de me dire qu’un texte écrit plusieurs millénaire avant nous (environ 2000 ans avant J-C pour la version ancienne) puisse ainsi me toucher et rester d’actualité.

 

Sans rentrer dans les détails, et faisant court, je vous résume l’histoire (étant entendu que le héros, Gilgamesh, a réellement existé vers 2500/3000 avant J-C, mais que ces aventures ont été mythologisées et que sa vie tient avant tout de la légende, même si de nombreuses aventures résultent de problèmes réels et concrets de l’époque) : Gilgamesh, roi dit aux deux tiers Dieu, un tiers Homme, est régent de la cité-état de Uruk, près de l’ancienne et célèbre Babylone. Et si ode est fait à ce héros, héros dit plus grand, plus fort, plus séduisant même que tout autre homme, il reste un mortel et est de plus décrit comme un roi tyran abusant des jeunes filles, esclavageant les jeunes gens, et déséquilibrant ainsi sa cité, Uruk.

Le peuple proteste alors devant des Dieux. Et celui-ci pour rééquilibrer les choses crée un alter-égo à Gilgamesh. Enkidu. Un être surpuissant vivant dans la forêt tout à coté. Un être vivant cependant comme une bête, et décrit se désaltérant avec les gazelles.

Un chasseur le trouve, en a peur, et va voir le roi Gilgamesh. Celui-ci envoie sa plus belle courtisane pour aller le voir et l’apprivoiser de sa beauté. Ce qu’elle fait. Elle se rend au cours d’eau où il se désaltère le soir, puis de ses charmes la séduit. Ils font l’amour sept jours et sept nuits puis la Courtisane dit « La joyeuse » lui propose de venir avec elle à Uruk pour lui présenter Gilgamesh et découvrir la civilisation. Abandonné par ses amis les animaux car les ayant délaissé pour La joyeuse, il accepte (Le piège de Gilgamesh fonctionne, lui qui le voulait découvrir).

Enkidu arrive en ville, rencontre Gilgamesh, puis ils se battent, trouvant chacun dans l’autre,un rival trop puissant. Mais finalement, après s’être lourdement combattu, ils finissent, à armes égales, à cesser de combattre pour tomber dans les bras l’un de l’autre. Et même devenir de très grand amis ensuite. Peut-être même amant, l’épopée est équivoque sur le sujet.

De même force, allié et amis, ils se lancent alors dans de grandes aventures. De grandes aventures que je passe rapidement. En résumé, ils tuent un terrible monstre dans la forêt, Humbaba, pour récupérer du bois de cèdre, puis ils tuent aussi dans la ville d’Uruk un taureau-céleste venu pour la détruire.

La suite, et c’est le tournant philosophique de l’histoire, c’est la mort d’Enkidu. Une mort vue en songe. Gilgamesh reste longtemps au chevet de son ami, et celui-ci meurt dans ses bras, de mort naturelle. Il est alors d’une tristesse infini et garde même d’après le texte le corps de son ami plusieurs jours dans ses bras « jusqu’à ce que des vers lui sortent du nez ». Pour vous dire son désarroi.

Après des funérailles publics et un grand hommage, Gilgamesh s’en va courir la steppe pour pleurer. Pleurer la mort de son ami. La mort, ce chemin sans retour.

Mais la peur de sa propre mort lui arrive aussitôt. Aussi va-t-il partir en quête de l’immortalité…

Commence alors une nouvelle aventure où Gilgamesh ira au bout du monde. Passant des tunnels sombres, traversant des mers mystérieuses à bord de barque à tout aussi mystérieux passeur, il finira par trouver un être immortel à qui il demandera la solution pour lui aussi devenir immortel. Et au bout de ce long périple, cet immortel du bout du monde, Utanapishti lui contera une histoire incroyable, une histoire que vous connaissez. Le Déluge.

En gros, ce personnage lui raconte qu’il y a longtemps arriva un déluge provoqué par les Dieux, et qu’il construisit un bateau pour y survivre, bateau dans lequel il mit sa femme et des exemplaires de nombres d’animaux. Vous connaissez ça par cœur. Le Déluge terminé, Le chef des Dieux donna à cet homme l’immortalité car il était le seul survivant, pareil aux Dieux. Utanapishti explique alors à Gilgamesh que cette occasion fut véritablement un cas unique, et que rien ne pourrait en vérité l’amener à acquérir l’immortalité.

Gilgamesh, après ces moult aventures, éreintés, écoute cette vérité crue, dépité, démoralisé.

Et connaissez-vous le fin mot de cette histoire ? Sa fin ?

Eh bien Gilgamesh rentre à Uruk, pour faire le reste de sa vie près des siens. Près des siens mortels. Tout simplement

 

Il est plusieurs choses qui me touchent dans cette histoire.

 

La première est de comprendre que de nombreux thèmes du premier mythe connu du monde ont été repris : Le tunnel à traverser pour rejoindre le monde des morts (qui deviendra le monde d’Hadès, l’enfer). La barque au gondolier sordide qui, de nuit, fait le lien entre le monde des mortels et des Dieux. Et le déluge ! Déluge repris quasiment dans son intégralité dans le mythe de Pyrrha et Deucalion des grecs, et bien sûr par la bible et son arche de Noé. Cela amène à réfléchir sur la singularité de nos religions actuelles qui toutes reprennent d’ancestral thème, pour lesquelles l’imagination de nos plus anciens ancêtres pourrait prévaloir sur un réel divin. La question restant largement ouverte bien sûr.

 

Le second enseignement enfin est d’ordre philosophique. Après une quête incroyable, Gilgamesh comprend qu’il doit mourir. Que rien n’y fera. Et qu’il est vain de lutter contre cela et d’en vouloir même savoir plus.

Quelle humilité ! Et quelle leçon simple, il faut accepter la mort, simplement. Et vivre parmi les humains.

 

C’est d’ailleurs une troisième morale que Luc Ferry m’apporta et que je n’avais pas vue. Cette épopée nous dit aussi que notre statut de mortel, si terrible soit-il, est aussi un cadeau infini en ce qu’il est le prix à payer pour être humain, pour être conscient de ce que nous sommes, pour être conscient tout court même, et sortir ainsi du simple instinct des animaux. C’est dans un passage où Enkidu reproche à La Joyeuse de l’avoir amené parmi les humains que cet adage est visible. Près de mourir, il reproche à la courtisane de ne l’avoir pas laissé parmi les animaux, en paix, loin de la question de la mort. Mais à ce moment, un Dieu fait reproche à Enkidu de maudire cette femme, car c’est un présent ultime que celle-ci lui a fait dit-il, car son ami Gilgamesh le cajolera jusqu’à sa fin, et il sera honoré ensuite par le peuple.

 

Être conscient de l’inéluctabilité de notre mort, c’est aussi être conscient qu’on existe, c’est aussi connaitre la vie, l’amour, les siens…

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