Super nanny, Vis ma vie... et l'épicurisme de Lucrèce...
Hier avec mon épouse, je regardais "zone interdite "sur M6. L'émission, très intéressante (oui, ça peut arriver), avait pour sujet la massification des divorces en France, et la manière avec laquelle certains couples luttaient pour maintenir leur union malgré les difficultés.
Y étaient évoqués les problèmes fragilisant le plus souvent les mariages : l'arrivée des enfants, la difficulté à en avoir, le travail qui prend une trop grande place, ou enfin une sexualité qui s'appauvrit avec les années...
Le reportage, aussi, montrait des parents dépassés par leur enfants, des maris et femmes s'invectivant à longueur de journée, ou encore des femmes pleurant l'éternel absence de leur mari au travail, ou courant les sites de rencontre extra conjugales pour pallier à leur misère sexuelle.
Durant le visionnage de cette émission, je n'ai pu m'empêcher de me gausser. "Heureusement que je ne me laisse pas bouffer par mes gosses comme ça! Faut bien être con pour passer sa vie au turbin sans se douter que cela aura des conséquences un jour! Ah bah oui, si tu t'occupes pas de ta femme, d'autres s'en occuperont! "
Bien sur je grossis le trait; toujours est-il que - ne serait-ce que vaguement - le téléspectateur que je suis s'est retrouvé grisé. En gros, "ils sont vraiment mauvais ces gens, heureusement que je mène ma vie autrement, et ai un peu plus de jugeote..."
En approfondissant un peu, on se rend vite compte que nombre d'émission télévisées tirent leur succès de la même recette. On montre l'erreur dans laquelle certains individus vivent, et l'émission se donne comme but de montrer ce qu'il ne faut pas faire en pointant les voies sans issues qu'il ne faut pas emprunter. Et il faut bien avouer que tout-un-chacun toujours est proche de glisser vers l'un des travers évoqués dans l'émission. Et oui, nul n'est parfait.
Pourtant, que nous regardions Vis ma vie, super nanny, c'est du propre... etc... Globalement on est fier de tenir sa maison propre, d'élever ses enfants correctement, et de ne pas être cocaïnomane ou interdit de casino.
N'est- il pas grisant de montrer le précipice dont toujours nous sommes proche mais dans lequel encore nous ne sommes pas tombé...
Et de me souvenir d'un passage du " de rerum natura" de Lucrèce:
« Il est doux, quand la vaste mer est troublée par les vents, de contempler du rivage la détresse d’un autre ; non qu’on se plaise à voir souffrir, mais par la douceur de sentir de quels maux on est exempt. Il est doux encore d’assister aux grandes luttes de la guerre se développant dans les plaines, sans prendre sa part du danger. Mais il n’est rien de plus doux que d’habiter ces sommets élevés et sereins, ces forts construits par la doctrine des sages, d’où l’on peut apercevoir au loin le reste des hommes égarés dans les routes de la vie, y luttant de génie, y contestant de noblesse, s’épuisant en efforts et le jour et la nuit, surnageant enfin pour saisir la fortune et la puissance. Ô malheureuses pensées des humains ! esprits aveugles ! »
— Passage dans la traduction de Patin
Un siècle avant Jésus Christ, se peut-il qu'on sut déjà ce qui ferait vendre des concepts d'émission télé...